La coopération entre Commission et Parlement européen dans la réforme de la politique de cohésion dans les années 1980 (part 2)
Les Programmes intégrés méditerranéens (PIM)
À la fin des années ’70 la Communauté européenne adopte une « approche globale » de coopération avec les pays tiers du Bassin Méditerranéen qui inclue des accords commerciaux préférentiels et entame le processus d’adhésion de trois pays méditerranéens (Grèce, Espagne et Portugal).
En 1981 la Commission européenne présidé par M. Gaston Thorn, sur initiative de M. Lorenzo Natali, chargé de la politique méditerranéenne et de l’élargissement, publie une Communication au Conseil (COM81 637 final [PDF]) sur les lignes d’action à suivre afin de contrecarrer l’impact dommageable sur les zones méditerranéennes internes. Cette Communication (qui est accueillie favorablement par le Conseil le 21/7/1981) indique la nécessité d’une action spécifique additionnelle pour le développement des zones rurales méditerranéennes qui viendrait s’ajouter aux actions horizontales de la PAC (Politique Agricole Communautaire), notamment afin d’améliorer les revenus agricoles.
Les avis, même au sein de la Commission étaient partages
Interview de M Di Carpegna, Directeur à la Commission : (HAEU : le fichier audio n’est pas disponible)
J’étais arrivé à la conclusion que les concessions commerciales agricoles n’avait pas eu beaucoup d’effet sur les performances des pays communautaires et que les problèmes de sous-développement des régions méditerranéennes étaient liés à toute une série d’autres facteurs. Le rapport, après des très longues discussions, n’a jamais été adopté par la Commission, surtout en raison de la forte opposition de monsieur Natali, que je ne connaissais pas à l’époque. Natali considérait que les conclusions du rapport n’étaient pas suffisamment favorables aux thèses des pays méditerranéens communautaires. Aussi dans ce cas j’ai pu, par la suite, valoriser les connaissances acquises par ce travail lors de la conception et la mise en œuvre des « Programmes Intègres Méditerranéens » (PIM) dont monsieur Natali était le responsable lorsque j’ai travaillé dans son cabinet. En effet les PIM étaient basés sur une appréciation de la problématique méditerranéenne toute-à-fait cohérente avec celle des conclusions du rapport que Natali avait bloqué en Commission.
Interview with Landaburu, Eneko | HAEU Reference Code: INT196
La proposition de règlement sur les PIM est présentée en mars 1983 (COM83 495 [PDF] et Com (1983)24 final). Les points principaux sont les suivants :
- Les régions méditerranéennes ont bénéficié moins que les autres de l’intégration communautaire ; donc, une action de « compensation » et de « rattrapage » est justifiée ;
- Une approche intégrée est préconisée en vue d’améliorer la viabilité des zones rurales ;
- Les interventions dans les exploitations agricoles doivent être sélectives et viser : la rationalisation de la production e l’amélioration de la qualité des produits dans les zones irriguées ; la réorientation de la production dans les plaines sèches afin d’améliorer les revenus sans aggraver la situation des marchés; l’élevage dans les zones internes.
- La mise en œuvre prévoit que les projets de programmes soient transmis au Conseil sous forme d’une proposition de Règlement. Par conséquent les États membres (EM) mettent en place un dispositif opérationnel constitué par l’ensemble des mesures (législatives, administratives, règlementaires) et moyens financiers pour les différents volets (les lignes budgétaires, ainsi que les services gestionnaires, sont distinctes pour chaque fonds). Sont créés des structures de concertation et de coordination avec les EM, un « steering committee » au niveau politique et un groupe de travail au niveau technique.
Le rapport de la commission régionale du PE compétente au fond est présenté par M. Kazakis et adopté à la quasi-unanimité (manque 1 seul vote, celui d’un conservateur britannique). La proposition de la Commission est approuvée à condition que soient acceptées 79 ( ! ) amendements. En fait, le rapport est très critique et invite la Commission à modifier de fond en comble la proposition, sur base d’orientations dont les plus importantes sont les suivantes:
- Les autorités régionales et locales doivent avoir un rôle fondamental dans la conception et la mise en œuvre des PMI. La Commission devrait les soutenir en fournissant l’assistance technique nécessaire ;
- L’éventail du soutien devrait être renforcé dans les secteurs extra-agricoles afin d’améliorer la situation de l’emploi et prévoir un fonds de roulement pour les petites et moyennes entreprises (prêts à taux réduit) ;
- La mise en œuvre est particulièrement critiquée : il faut simplifier et uniformiser les procédures de financement dans le cadre des PMI ;
- Les mesures prévues portent surtout sur des actions qui ont une rentabilité rapide au lieu de porter sur des investissement visant le développement endogène durable sur le long-terme. En outre la politique structurelle du Feoga a montré ses défaillances, donc il n’est pas suffisant de superposer des nouvelles mesures à un appareil juridique existant qui manifestement n’est pas apte à résoudre les problèmes de ces zones ;
- Il faut essayer d’assurer la cohérence entre les volets « marchés » et « structures » du Feoga en modifiant les règles existantes.
Le débat en plénière et la résolution législative adoptée le 29 mars 1984 ( pages 109-150) en substance n’est pas différente par rapport aux délibérations de la commission régionale : adopté à la quasi-unanimité (à l’exception des conservateurs britanniques), elle entre dans le détail technique des mesures dans les différents secteurs (agriculture, pêche, énergie, environnement etc.), réaffirme toutes les modifications de fond votées par la commission parlementaire et « souligne que seule une approche globale des problèmes des régions méditerranéennes peut contribuer à la restructuration économique, un simple transfert de ressources ne pouvant suffire à lui seul à équilibrer la situation économique et sociale de ces régions» et requiert la procédure de concertation.
En effet, malgré l’objectif général de la proposition soit louable, la proposition – comme souligne dans son intervention le Président de la commission régionale M. De Pasquale – n’est pas considérée à la hauteur du défi, car les mesures règlementaires d’application risquent de rendre vaine toute bonne intention. La politique structurelle de la PAC n’a pas fonctionné et seulement une partie minime des ressources budgétaires allouées ont été utilisées dans les régions défavorisées. Ce qui est nécessaire c’est un accroissement du soutien dans les secteurs autres que l’agriculture.
Peut-être pour la première fois l’Assemblée ne se limite pas à des considérations de politiques générale (qui, certes, existent), mais s’applique à reformuler le texte juridique de la proposition de règlement, en jouant pleinement le rôle législatif de l’institution.
La Commission, n’avait pas l’habitude des amendements législatifs, et M. Natali, en plénière, se limite à accepter l’esprit d’un certain nombre d’amendement (visant notamment à renforcer le caractère intégré et spécifique des PIM) mais refuse les amendements visant à modifier son arsenal d’application. Il réitère que « le fil conducteur des PMI conçu pour garantir l’augmentation des revenus des agriculteurs est de canaliser les investissements vers des productions non excédentaires et d’obtenir en même temps à travers la reconversion de ces productions, à moyen terme, directement ou indirectement, une réduction de la dépense du Feoga garantie ».
L’année 1985 commence avec des changements très significatifs sur la scène européenne. Après des années carrément maussades, il y a un rebondissement du processus d’intégration communautaire. Tout d’abord avec la nomination de la nouvelle Commission présidé par Jacques Delors qui relance la coopération européenne, surtout après que le Conseil Européen (CE) de Fontainebleau résout le problème du déséquilibre budgétaire britannique (avec un rabais de 2/3), en ouvrant ainsi la porte à l’adhésion de l’Espagne et du Portugal. Dans le courant de cette même année il y aura l’envoi du débat sur la réforme institutionnelle qui portera à l’Acte Unique et à la création du marché unique.
Le Conseil Européen de Bruxelles des 29 et 30 mars 1985 (pag. 237 [PDF]) décide de lancer les PIM sur la base des grandes lignes de l’action préconisées par la Commission Delors (elle les avait publiées dès le 21 février), qui retraçait le chemin indiqué par le PE. Sur cette base le CE marque son accord : la durée sera de 7 ans, la participation des Fonds structurels sera de 2,5 milliards d’écus (avec un accent sur leur coordination) et l’apport budgétaire additionnel s’élèvera à 1,6 milliard d’écus, ; le Conseil sera appelé à décider un règlement-cadre, les programmes étant adoptés par la Commission, et on mettra à disposition des EM l’expertise nécessaire pour l’évaluation, la préparation et la mise en œuvre des programmes.
La nouvelle proposition de règlement instituant les PIM que la Commission présente le 8 mai 1985 (COM85 180/2 final [PDF]) reprend grand nombre des demandes du PE qui, par ailleurs, avaient été une fois de plus répétées dans une dernière résolution le 14 mars JO n° C94 du 15.4.1985 (pag. 79 [PDF]).
La nouvelle proposition suscita différentes réactions à l’intérieur de la Commission Eneko Landaburu, Directeur General, DG Affaires régionales, s souligne l’importance su soutien du PE, les résistances à l’intérieur de la Commission et l’importance des PIM pour les relations entre responsables régionaux et européens.
L’appui du Parlement européen nous était acquis. Ayant été parlementaire, je savais l’importance que pouvait avoir ce Parlement. D’ailleurs, j’étais assez choqué du comportement de certains collègues à la Commission qui voyaient le Parlement comme un obstacle au travail plutôt que comme quelque chose qui méritait des rapports privilégiés. J’ai donc beaucoup travaillé, notamment avec la commission de la politique régionale du PE, pour mobiliser les appuis parlementaires. M. Landaburu reprends aussi les grand principes qui ont été inspirés par les amendements du PE
Interview with Landaburu, Eneko | HAEU Reference Code: INT196
D’autre part M. Di Carpegna décrit les différents points de vue entre DGs, notamment la DG Agri. (HAEU : le fichier audio n’est pas disponible)
Après l’adoption de la proposition des Programmes Intégrés Méditerranéens (PIM), Delors a chargé Jérôme Vignon, un membre très brillant de son cabinet, de défendre le dossier au Conseil des Ministres. C’était la première fois qu’un membre d’un Cabinet se substituait aux services dans cette tâche. Bien entendu cette décision a été très mal reçue par le Directeur responsable à la DG VI. En l’occurrence la décision a été très opérationnelle, entre autres puisqu’elle soulignait l’importance politique du dossier.
Pour conclure, dans son avis final du 13 juin 1985 (Rapporteur M. de Pasquale), le PE ne peut qu’exprimer une grande satisfaction car il constate que :
« Les nouvelles propositions font droit à bon nombre des demandes présentées dans sa résolution du 14 mars 1985, notamment en ce qui concerne:
a)l’option en faveur d’un règlement-cadre déléguant des pouvoirs étendus a la Commission enmatière d’approbation des programmes,
b) la participation, sous leur responsabilité, des autorités régionales et locales,
c) le renforcement des interventions en faveur des secteurs extra-agricoles, en rapport avec les capacités de développement endogène des régions intéressées,
d) I’ orientation de toutes les politiques communautaires en cohérences avec les objectifs définis dans les programmes intégrés méditerranéens,
e) l’intégration et la coordination des différents moyens et actions, dans le cadre d’une programmation régionale adéquate.
f) la mise en œuvre d’une politique de prêts bonifies. »
(JO C175 du 15.7.1985)
Toutefois le PE déplore vivement l’insuffisance, dans l’ensemble, des ressources affectées aux PIM, regrette l’absence de la fiche financière et demande un autre échelonnement des crédits sur les 7 années.
Landaburu rappelle comment les PIM ont été des lieux de rencontre des autorités locales et régionales avec des responsables nationaux et européens. C’est tout à fait remarquable.
C’était une grande innovation qu’avait introduite l’équipe de Jacques Delors et qui se heurtait à certaines résistances de la direction générale plus conservatrice et focalisée sur la vertu des projets. J’ai moi-même critiqué les PIM par rapport à leur fonctionnement et efficacité. Mais c’est vrai que les PIM ont introduit deux choses très positives : d’une part l’idée de programmation plus forte et d’autre part la consultation et la présence des autorités régionales et locales dans la détermination des politiques et des financements européens.
Interview with Landaburu, Eneko | HAEU Reference Code: INT196
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