La coopération entre Commission et Parlement européen dans la réforme de la politique de cohésion dans les années 1980 (part 3)
Fonds Européen de Développement Régional (FEDER)
Un deuxième dossier qui a caractérisé une efficace coopération entre Commission et Parlement concerne la réforme du Fonds Régional.
Comme on a vu, les premières années de la décennie ’80 ont marqué une période très difficile pour la coopération européenne, le manque de confiance et les revendications nationalistes battant leur plein. Deux textes de la Commission adoptées fin décembre 1983 font du remous parmi les députés engagés dans la politique structurelle communautaire. Le premier concerne la modification du règlement 724/75 instituant le Fonds européen de développement régional (Feder) (COM(83)649 final [PDF]), et le deuxième le « Rapport et propositions sur les moyens d’accroitre l’efficacité des Fonds Structurels de la Communauté » « Livre Blan+c » (COM 83 501 final [PDF]). Dans ces textes la Commission stigmatise avec force et clarté la situation pitoyable de la politique structurelle communautaire ainsi que la paralysie qui caractérise toute discussion au Conseil sur ce sujet. Le Feder aurait dû être revu avant 1982, mais tout débat a échoué sur un point mort.
L’analyse que conduit le Rapport sur l’efficacité de l’action structurelle est implacable, et évoque les critiques formulées par le Parlement européen sur les PIM une année auparavant. Ainsi les solutions préconisées vont dans la même direction des demandes formulées par le PE, même si la Commission, à la différence du PE (qui prétend ces changements dans l’immédiat) considère qu’il faut prévoir des phases d’application étalées sur plusieurs années, étant donné que, pour le moment, le Conseil n’est pas disposé à les adopter.
La politique structurelle communautaire – reconnaît la Commission – est totalement subsidiaire par rapport aux politiques nationales, car les interventions des Fonds ne représentent qu’une une faible part des aides nationales.
La possibilité pour la Communauté de s’assurer du respect des objectifs qu’elle a fixés est limitée ou neutralisée par plusieurs facteurs, dont :
- le faible degré d’autonomie de décision laissé à la Commission ;
- la difficulté d’adapter l’action aux spécificités ;
- la grande diversité existant entre les fonds communautaires quant à leurs objectifs, le type d’aide ainsi que les règles de fonctionnement, qui mine la cohérence, l’efficacité et la mise en œuvre de la politique structurelle.
Une politique régionale existait depuis 1975, initiée par des amendements budgétaires du PE, mais elle s’est développée comme un soutien à une politique nationale, la Commission se limitant a co-financer des projets nationaux. Carmelo Messina, Assistant de plusieurs Directeurs Généraux explique dans son interview:
l’absence de tout principe de l’additionnalité, ce qui fait que, souvent, ils nous envoyaient des projets déjà financés, donc ils récupéraient de l’argent qu’ils avaient déjà dépensé. « Quelle additionnalité ? »……… Et ça faisait dire aux Allemands « et mon argent, où va-t-il ? Et toi Commission ? ». « Nous, Commission, faisons ce que VOUS, Conseil, nous avez dit de faire ». Et le Parlement européen n’avait pas beaucoup à dire à ce moment-là
Interview with Messina, Carmelo| HAEU Reference Code: INT217
La solution passe donc par ces mots clé : financement par programme (pas d’automatisme, rôle de la Commission), objectifs communautaires (donc conditionnalité), ajustement structurel et pas redistribution financière, développement endogène (spécificités locales), concentration géographique et des objectifs (priorités), coordination entre instruments financiers, etc.
Ces principes découlaient des réflexions du groupe ‘Lacroix’ et de la Cellule perspective selon les propos de Jérôme Vignon, collaborateur du Président Delors et directeur General à la Commission
Notre idée était bien de promouvoir l’intégration européenne, et pas simplement une coopération entre les nations. À ce titre, il fallait rejoindre une aspiration des sociétés européennes. À diverses reprises, on va retrouver cette volonté de rejoindre, ou de stimuler une aspiration de la société européenne. Ce sera notamment le cas dans la transformation des Fonds structurels qui deviendront une véritable politique structurelle. C’était là une conception ancienne chez Delors : cette idée de dire que le développement territorial doit être fait par et avec les acteurs du territoire. Il rejoignait un peu Denis de Rougemont dans l’idée selon laquelle les régions et les villes ont un rôle à jouer comme acteurs de la construction européenne. La réforme des Fonds structurels, c’est-à-dire le passage de ces espèces de tiroir-caisse à des politiques structurelles comprenant une participation effective des régions et des villes
Interview with Vignon, Jérôme | HAEU Reference Code: INT1158
Les orientations que le Parlement avait esquissés un an auparavant viennent maintenant systématisées et encadrées dans une analyse approfondie par la Commission ; malheureusement elle propose que ces changements ne pourront intervenir que graduellement étalés sur plusieurs années. Par exemple, le financement par projets d’investissements individuels ne sera substitué que graduellement par un système de financement par programme ; le financement d’opérations visant à la valorisation du potentiel de développement endogène des régions pourra avoir lieu, mais ne sera ni une condition ni une priorité ; des programmes à l’initiative des EM pourront toujours continuer à accéder à la contribution communautaire, …et ainsi de suite.
Eneko Landaburu resume ainsi les objectifs des propositions de reforme des fonds structurels
Les objectifs politiques à atteindre sont d’abord que les régions les plus défavorisées puissent avoir des moyens d’affronter les difficultés d’un marché ouvert et concurrentiel. En deuxième lieu, c’est que grâce aux politiques communautaires, nous puissions être plus proches du citoyen afin qu’il voit que l’Europe, ce n’est pas seulement une construction abstraite de règlements et d’interdictions mais que c’est aussi l’existence d’instruments qui viennent en aide pour résoudre ou contribuer à résoudre des problèmes socio-économiques concrets dans des territoires en difficulté.
Interview with Landaburu, Eneko | HAEU Reference Code: INT196
Dans son avis sur la réforme du Feder (rapporteur le Président de la commission régionale, M. de Pasquale) le PE reconnait que la proposition marque un pas en avant dans la définition d’une politique régionale communautaire et qu’elle dénote un progrès indubitable dans le sens de l’acceptation, « le plus souvent malheureusement incomplète et insuffisante, de divers critères, requêtes et priorités que le Parlement s’évertue depuis longtemps à revendiquer ».
Plus spécifiquement, les progrès de la réforme concernent surtout l’abandon du système de financement par des quotas nationaux fixes et son remplacement par des fourchettes des limites inferieures et supérieures, ce qui confèrera à la Commission plus de flexibilité et une marge de manœuvre dans la gestion du Feder, ainsi que la suppression de la distinction entre section “sous quota” et section “hors quota », grâce à l’instauration des programmes communautaires et des programmes nationaux d’intérêt communautaire. De plus, on inclut le financement d’une large gamme d’actions visant le développement endogène des régions ainsi que l’augmentation tu taux de participation du Feder.
Toujours avec un consensus très large, le PE adopte la résolution et les amendements (J.O. C127 du 14.5.1984 page 220 [PDF]) et demande la procédure de concertation basée sur la déclaration commune de 1975.
Celle-ci, après plusieurs réunions, aboutit à l’adoption d’une « Déclaration commune du Conseil, de la Commission et du Parlement européen sur la réforme du Fonds européen de développement régional » (J.O. C72 page 56-59 du 18 mars 1985 [PDF]), dans laquelle émergent deux nouveautés politiquement très importantes et qui auront une suite dans le futur de la politique régionale : l’additionnalité (« le concours du Feder constitue, en général, un effort financier global supplémentaire ») et le rôle des autorités régionales (« les trois institutions conviennent de l’intérêt, dans le respect des compétences internes des EM et des dispositions du droit communautaire, d’une relation plus efficace entre la Commission CE et les autorités régionales ou, le cas échéant, locales »).
La 13 avril 1984 la PE adopte la résolution clôturant la concertation grâce à la Déclaration commune précitée qui permet des avancées significatives sur « l’ orientation commune » du Conseil, comme le sont, par exemple les affirmations suivantes :
- « les interventions du Fonds auront comme priorité la suppression des déséquilibres régionaux. Ils tiendront le plus grand compte des implications régionales des autres politiques communes lors de leurs délibérations sur ces politiques »
- « l’appréciation et application des principes contenus dans ce nouveau règlement doivent faire l’objet d’un échange de vues entre les institutions CE au moins une fois par an »
Le Parlement globalement se réjouit, malgré certaines autres requêtes n’aient pas été entendues, et, en particulier, celles qui visaient à:
- renforcer et rendre contraignante la coordination des politiques régionales nationales et communautaire, ainsi qu’à renforcer les pouvoirs de gestion de la Commission,
- attribuer des priorités concrètes aux investissements productifs par rapport aux infrastructures ;
- élargir les possibilités d’intervention du Fonds sous forme de bonification du taux d’intérêt;
Toutefois il considère que les rencontre annuelles que le PE a obtenu seront l’occasion pour influencer de manière constante la gestion de la politique régionale communautaire. Ainsi un véritable processus de collaboration entre les deux institutions est engagé et continuera avec les ultérieures modifications de la politique structurelle.
Si le PE avait des critiques la Commission devait faire face à une opposition interne et des Etats. Eneko Landaburu, énumère certaines de ces critiques
Bien sûr, certains n’étaient pas d’accord au sein des États membres. Il y avait ceux d’abord qui disaient : « Pourquoi des politiques publiques pour assurer la solidarité ? » C’étaient les libéraux, en général qui ne voyaient pas l’intérêt du budget européen. Il y avait aussi ceux qui considéraient que la programmation donnait trop de pouvoir à Bruxelles en termes de Bien sûr, certains n’étaient pas d’accord au sein des États membres. Il y avait ceux d’abord destinations des fonds parce qu’évidemment à travers la programmation, nous voulions aussi insérer les priorités communautaires. On ne souhaitait pas seulement apporter des fonds mais faire passer à travers le budget la mise en oeuvre d’un certain nombre d’idées que l’on développait pour défendre l’intérêt européen. Certaines administrations nationales étaient très critiques. La meilleure évocation de cela, c’était les Français qui parlaient du « juste retour FEDER ». Cette expression que je combattais niait toute logique fédérale et de redistribution. Par ailleurs, beaucoup voyaient d’un mauvais oeil l’implication des régions et des autorités locales dans une politique qu’ils voulaient contrôler depuis les capitales.
Interview with Vignon, Jérôme | HAEU Reference Code: INT1158
Pour conclure, cette procédure marque un tournant dans les relations interinstitutionnelles, le Parlement, sans encore une base juridique (qui viendra avec l’Acte Unique), mais en force de son influence politique, devient un vrai partenaire législatif.
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