La coopération entre Commission et Parlement européen dans la réforme de la politique de cohésion dans les années 1980 (part 4)
Le paquet structurel de la Commission Delors I
Dans son discours d’investiture au Parlement européen le 14 janvier 1985 le Président Jacques Delors énonce les priorités pour les années à venir: l’achèvement du marché unique, la réforme institutionnelle et la politique de cohésion économique et sociale, mesure d’accompagnement du marché unique.
Les objectifs étaient nombreux : la réalisation d’un véritable espace économique et l’achèvement du marché unique impliquaient de nouvelles compétences (p.ex l’environnement. les nouvelles technologies etc.) et, surtout, la conception d’ensemble de l’intégration européenne et de son développement politique entraînait nécessairement l’unicité des institutions et des modifications du traité (dont le nom « Acte Unique »)
Giuseppe Ciavarini Azzi, ancien Directeur au Secrétariat Général de la Commission,
souligne le rôle de Delors dans la préparation de l’Acte Unique, notamment son soucis de garantir l’unicité du cadre commun et de la coopération politique.
Interview with Ciavarini Azzi, Giuseppe | HAEU Reference Code: INT983
L’Acte unique (1986) introduit un tournant décisif car il consacre la cohésion économique et sociale comme l’un des objectifs et l’une des politiques fondamentales de l’Union (article 158 du traité), la deuxième en termes de budget après la politique agricole commune (30 % environ du budget de l’Union contre 45 % de la politique agricole). Le financement de cette politique atteint 27 % du budget communautaire (0,31 % du PIB européen) à la fin du paquet « Delors I » (1989-1993).
Le débat déclenché par la Communication de la Commission «Réussir l’Acte unique: une nouvelle frontière pour l’Europe» est décisif, car ce document trace le chemin vers le développement futur de la Communauté et sera à l’origine des décisions du Conseil européen de Bruxelles du 30 juin 1987 (où la Commission estime que pour faire face aux besoins spécifiques il y a lieu de procéder à un doublement, en termes réels, de là jusqu’à 1992, des crédits alloués aux fonds).
Dans son avis (Résolution PE du 13 mai 1987 C 156 du 15.6.1987) le PE « s’engage à coopérer avec la Commission et le Conseil pour appliquer l’Acte unique européen de telle manière que les décisions qui s’imposent soient prises rapidement, selon un calendrier précis et dans le cadre d’un programme général dont chaque élément serait indispensable à la réalisation de l’ensemble, notamment dans le renforcement de la cohésion économique et sociale entre les douze EM ». A’ cette occasion le PE indique la nécessité d’un vrai parallélisme entre le marché unique et la cohésion économique et sociale : les progrès dans les deux domaines doivent aller de pair, sinon les déséquilibres régionaux seront amplifiés.
Le PE approuve les objectifs de la cohésion indiqués par la Commission, mais souligne que « la cohésion économique et sociale n’est pas uniquement une question de renforcement et de réforme des Fonds structurels (FS); elle exigera un degré́ nettement plus grand de convergence et l’application d’une stratégie coopérative de croissance ».
En tous les cas il est urgent de procéder à une réforme des fonds structurels pour en accroitre l’efficacité et pour en faire de vrais instruments de développement économique. Le doublement des fonds structurels – précise le PE – constitue le strict minimum et réserve sa position sur le niveau précis des ressources de ces fonds jusqu’à ce que la Commission puisse prouver que ce doublement proposé est suffisant pour contribuer de manière significative aux objectifs prévus dans l’Acte unique.
Le 4 mai 1987 la Commission dévoile sa proposition de réforme des Fonds structurels COM(87)376 final (JO n° C 245 du 12.9.1987, p. 3) suivie le 19 novembre par l’avis du PE ayant comme rapporteur au fond M. Fernando Manuel Santos Gomes (JO C 345 21/12/87, p. 139 [PDF]).
Dans son avis le PE traduit en amendements les considérations déjà exprimées au mois de juin, à savoir :
- les instruments politiques pour la poursuite de la cohésion économique vont au-delà des FS et doivent concerner les politiques économiques des EM, les régimes d’aides nationaux, etc. Il faut donc une vraie coordination des politiques économiques et régionales des EM ;
- pour assurer le parallélisme entre marché unique et cohésion il faut vérifier l’impact des mesures structurelles par des critères objectifs et renforcer le contrôle du PE sur l’efficacité de l’action des FS ;
- si toutes les actions communautaires doivent être cohérentes avec la cohésion, alors il faut systématiquement analyser et prendre en compte l’impact régional des politiques horizontales; par exemple, les règles de concurrence doivent suivre le principe de proportionnalité entre les aides autorisées et la situation socio-économique des régions :
- il est souhaitable de coordonner les politiques nationales en matière d’infrastructure et jeter ainsi les bases d’une organisation territoriale européenne ;
les autorités régionales et locales devraient jouer un rôle majeur dans l’élaboration des programmes, ce qui n’est pas encore suffisamment le cas ;
Elisabetta Olivi souligne que suite à l’arrivée du Président Delors,
il y a eu un vrai sursaut de l’intégration communautaire. Dès le début il affiche des objectifs ambitieux : la réalisation d’un véritable espace économique avec l’achèvement du marché unique, ce qui implique de nouvelles compétences pour la Communauté. Et , surtout, la conception d’ensemble de l’intégration européenne entraînant nécessairement l’unicité des institutions et des modifications du traité (dont le nom « Acte Unique »). Quant à la politique de cohésion économique et sociale, elle deviendra une politique d’accompagnement du marché unique avec le doublement en termes réels en 1992 des crédits alloués aux fonds. Clairement l’adoption de cette réforme fondamentale sera possible au sein du Conseil grâce au vote à la majorité introduit par la réforme des traités.
Interview with Olivi, Elisabetta | HAEU Oral History Collection
Les principes de base que le PE avait préconisé dans ses prises de position antérieures en matière de politique structurelle sont totalement repris par la proposition de la Commission dans la réforme 87-88, à savoir :
- la concentration tant sur des objectifs prioritaires (qui sont 5) que sur la dimension géographique sur base de critères objectifs
- le partenariat, ce qui implique la participation et la responsabilité des autorités régionales et locales ;
- la programmation des interventions, ce qui permet l’intégration des différents instruments ;
- l’additionalité (les ressources communautaires ne doivent pas prendre la place des ressources nationales qui sont complémentaires) ;
Le PE est conscient du grand progrès que cette nouvelle approche implique pour la politique régionale et plus en général structurelle. Malgré cela, les ajustements demandés sont nombreux (mais pas d’opposition de fond), dont par exemple :
- le Feder ne doit pas intervenir sur l’objectif 5 (les zones rurales ne faisant pas partie des zones en retard de développement, tandis que les zones de l’obj 2 le sont) ;
- les zones de l’obj. 2 devraient être définies sur base de critères socio-économiques importants (PIB/hab, taux de chômage, d’industrialisation, etc.
- la réinsertion professionnelle, surtout suite au nouvelles technologies devrait être au premier plan de l’action du FSE ;
- pas assez d’accent sur les programmes intégrés ;
- les considérations budgétaires visent à mieux spécifier les dotations budgétaires des différents objectifs, à renforcer le contrôle, à vérifier « l’effort significatif de concentration sur l’obj. 1 »
- les ressources financières faisant l’objet de prévisions quinquennales devraient être approuvées par les deux branches de 1’autorite budgétaire :
- 1’actualisation annuelle des prévisions quinquennales ferait l’objet d’un accord de 1’autorite budgétaire
Le réaction du représentant de la Commission, M. Varfis, à ces demandes est compréhensive, car elles sont inspirées par la même vision qu’il partage. Il reconnaît que la relation existant entre le marché intérieur et la cohésion aux fins d’un développement plus harmonieux de la Communauté est forte. Néanmoins, un parallélisme étroit, et, de plus, quantifié, ne lui semble pas utile, car il constituerait une entrave au progrès dans la réalisation de l’un ou de l’autre objectif. D’autant plus que le règlement prévoit, d’une part, des mécanismes d’évaluation des actions des fonds et, d’autre part, la présentation chaque année d’un rapport au Parlement sur son application. La combinaison de ces deux dispositions répond effectivement aux vœux du Parlement.
Quant aux amendements sur la règles des Fonds, ils visent à la spécialisation des critères et des formes d’intervention. Toutefois le règlement proposé ne constitue qu’un cadre commun, ce qui signifie objectifs, principes, orientations. Les dispositions d’application seront proposées dans une phase ultérieure et M. Varfis s’engage à suivre le plus possible les souhaits exprimés par le PE.
Enfin en ce qui concerne la complémentarité de l’intervention communautaire, le Commissaire souligne que le innovations introduites (càd la fixation du cadre communautaire d’appui, la suppression des pourcentages garantis à l’intérieur des fonds, le co-financement de programmes et l’évaluation de leur application) permettront de mieux progresser vers l’accomplissement des priorités communautaires et d’évaluer concrètement les interventions de la Communauté par rapport aux initiatives nationales.
Last but not least, le partenariat avec les autorités régionales et locales ne peut que se développer dans le cadre défini par le Traité et les Constitutions nationales, répond M. Varfis au PE. Néanmoins, la procédure de programmation et de décentralisation qui caractérise les actions des fonds conduira, tout au moins de facto, aussi bien dans la phase de conception que dans la phase d’application des programmes, à une participation croissante des autorités régionales.
« L’expérience acquise dans le domaine des programmes méditerranéens, qui constituent à la fois la source d’inspiration et le modèle de la réforme des fonds, est, de ce point de vue, d’une importance considérable »
Et sur ces mots prononcés par le représentant de la Commission européenne nous pouvons conclure cette analyse qui visait à montrer comme, dans les années ’80, à partir des Programmes intégrés méditerranéens, s’est développée, après une première période d’incompréhensions et d’altercations, une intense collaboration entre le PE et la Commission qui a changé la donne de la politique structurelle communautaire, atteignant une vision commune de la politique de cohésion économique et sociale, qui à partir de ce moment, sera un des piliers de l’intégration communautaire.
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