Covid-19: la crise de trop pour les entreprises tunisiennes ?
Depuis la révolution du Jasmin, la Tunisie, plus jeune démocratie dans la région, vit une conjoncture économique des plus défavorables. La transition démocratique a eu pour conséquence directe une instabilité politique durable. Pas moins de huit gouvernements se sont succédé depuis 2010. La transition a aussi ébranlé l’économie du pays. La lenteur de la formation du nouveau gouvernement, entré en fonction fin février 2020, n’a pas arrangé la situation. Tous ces éléments se conjuguent aujourd’hui avec la pandémie mondiale de Covid-19.
Cette crise sanitaire, qui aura pour conséquence directe une crise économique mondiale au mieux semblable à celle des années 30, n’a pas épargné la Tunisie qui en ressent d’ores et déjà les effets. En particulier, les entreprises tunisiennes commencent à sentir l’impact de la crise sur leurs activités. Pour certaines, c’est leur pérennité même qui pourrait être compromise.
Une crise qui compromet la pérennité des PME/TPE tunisiennes
Sur le plan sanitaire, la Tunisie a pour le moment été épargnée en comparaison de ses voisins du Nord, et notamment de l’Italie et de la France. Grâce à des mécanismes de prévention mis en place rapidement, tels que le couvre-feu décrété sur l’ensemble du territoire le 18 mars, le confinement général instauré le 22 mars, la fermeture des frontières aériennes, terrestres et maritimes, ainsi qu’une bonne gestion de la crise par le ministère de la santé, la propagation du virus a été efficacement endiguée dans le pays.
Il n’en demeure pas moins que sur le plan économique, le pays a été frappé de plein fouet par la pandémie, et ses entreprises particulièrement ébranlées par les répercussions de cette crise. Le Covid-19 risque de balayer bon nombre d’entreprises, notamment celles de petite et de moyenne taille (Petites et Moyennes Entreprises / Très Petites Entreprises, PME/TPE).
En effet, contraintes d’interrompre leurs activités et de confiner leurs équipes, voire à s’en séparer, pour se conformer aux mesures-barrières qui leur ont été imposées, une grande majorité de ces entreprises est désormais menacée de cessation d’activité.
Une récente étude de l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises (IACE) estime que plus des ¾ des sociétés privées seraient impactées par la crise. Avec 96 % des chefs d’entreprises interrogés annonçant un impact négatif sur leurs chiffres d’affaire, le secteur des services apparait le plus fortement touché.
Dans une conjoncture économique des plus moroses, avec un PIB de -1.7% en volume au premier trimestre 2020 par rapport à celui du même trimestre en 2019, selon l’Institut National de la Statistique (INS), les chefs d’entreprises se voient confrontés à des conditions de travail inédites et contraints de trouver des solutions immédiates pour sauver ce qui peut l’être face à la crise.
Toujours selon l’INS, les exportations tunisiennes ont connu une baisse vertigineuse de près de 50 % en avril 2020 par rapport à avril 2019, pour atteindre la plus forte contraction de leur histoire. D’après la Banque Centrale de Tunisie (BCT), les recettes du tourisme sont également en baisse de 36 % au mois de mai par rapport à l’année passée.
La situation a été soulignée par le Fonds monétaire international (FMI), qui considère que la crise du Covid-19 pourrait entrainer la récession la plus grave pour le pays depuis son indépendance en 1956. Le Fonds a ainsi débloqué 745 millions de dollars en urgence pour aider la Tunisie à faire face à la pandémie et aider ses entreprises en difficulté.
Des PME/TPE tunisiennes durement affectées par un environnement des affaires hostile
Les PME/TPE, qui représentent la plus grande part du tissu économique tunisien, sont les plus touchées. Aujourd’hui plus que jamais menacées par la crise du Covid-19, ces entreprises avaient déjà vu leur santé mise à mal par la situation générale du pays depuis 2011. Confrontées à une conjoncture économique difficile avec le faible taux de croissance de 1% affiché en 2019, les petites entreprises du pays commencent à fléchir.
Bien avant cette crise, elles souffraient déjà d’un environnement des affaires des plus hostiles. Classée à la 78ème place du Doing Business 2020, le rapport de la Banque Mondiale évaluant le climat des affaires de 190 économies, la Tunisie a perdu 9 places en 10 ans.

Source: Doing Business 2020
Contraintes d’évoluer dans un environnement défavorable à l’activité entrepreneuriale, les petites et moyennes entreprises tunisiennes souffrent plus particulièrement de la difficulté à se faire financer auprès des institutions financières. Avec la 104ème place, la Tunisie figure ainsi parmi les derniers de la classe selon l’indicateur ‘Getting Credit’ du rapport Doing Business 2020.
La pression fiscale constitue elle aussi une contrainte majeure, qui non seulement freine l’investissement dans le pays, mais essouffle par la même les TPE/PME tunisiennes. En effet, avec un taux établi à 25,3 % en 2019, la Tunisie figure selon l’Arab Monetary Fund (AMF) parmi les pays arabes où la pression fiscale est la plus forte. Elle est aussi parmi les plus fortes en Afrique selon l’OCDE, mais aussi dans le monde avec un niveau de 74,4 % contre une moyenne mondiale de 77,2 %.
Bien qu’il ne s’agisse pas là d’une liste exhaustive, de nombreuses contraintes supplémentaires observées sur le terrain freinent la création et/ou le développement de ces petites structures et entravent la quasi-totalité des secteurs activités :
– lourdeur des procédures administratives,
– difficultés d’accès aux différentes sources de financement,
– pression fiscale et instabilité de la réglementation,
– dépréciation du dinar et très forte inflation,
– instabilité des marchés voisins les plus importants (notamment en Libye),
– manque de compétitivité des exportations et difficultés d’accès aux marchés internationaux,
– la stratégie nationale d’importation de biens et services,
– l’économie de rente où les familles historiques s’accaparent l’essentiel des ressources du pays.
Dans le contexte actuel, l’Etat tunisien doit non seulement prévoir des mesures de soutien au profit des TPE/PME sur le très court terme pour faire face à la crise du Covid-19, mais aussi élaborer une stratégie claire sur le moyen et long terme, déterminer les actions structurelles à mener et mettre en œuvre les réformes économiques vitales pour les entreprises de petite taille.
* Amina Magouri is Executive Director of SIDE – Capital Consulting Managing Partner
Nader Bhouri is an Advisor and former Member of the Cabinet